Marseille 1871 : une autre Commune
Marseille 1871 : une autre Commune
Le Monde illustré, 8 juillet 1871.
Carte postale ancienne

Charles Cartoux
Au public marseillais, au conseil de guerre siégeant à Marseille (1871)

Charles Cartoux après son exil. Un parcours peu commun à Marseille jusqu’à son décès

Les Voix du peuple (1868). Impressions d’un condamné à mort (1871)

Encore en exil en Espagne, Cartoux était au cœur d’un épisode politique peu commun : il fut en effet élu au Conseil général des Bouches-du-Rhône en octobre 1871 et démissionna immédiatement de ce poste avant même son retour en France. Dans une lettre relayée par la presse à la fin du mois d’octobre 1871, il annonçait sa démission à ses concitoyens, car, leur écrit-il en substance, il a besoin de travailler pour vivre et ne peut se permettre d’exercer des fonctions temporaires et gratuites de conseiller général.

« Mes chers concitoyens et amis,
J’ai appris presque en même temps et ma candidature et mon élection.
Il me serait impossible de vous exprimer selon mon cœur et mon patriotisme, la profonde satisfaction que j’éprouve pour l’honneur dont j’ai été l’objet, et pour l’immense majorité républicaine qui s’est ralliée autour de mon nom, alors surtout qu’il était entièrement en dehors de ma pensée que ma candidature puisse se produire.

Ma satisfaction est d’autant plus grande que ma personnalité est infime, et que je n’accepte pour elle, dans cette manifestation presque unanime de vos sentiments, que le seul et insigne honneur de présenter à vos yeux, ce sublime principe de liberté, d’égalité, de fraternité et de justice, que vous avez voulu aujourd’hui plus que jamais, en présence de prétentions monarchiques affirmer solennellement. Un nom importe peu, tant d’autres l’eussent remporté comme le mien.
Seulement, il est une vertu républicaine que je professe entre toutes : c’est celle qui me lie au travail qui est ma seule ressource matérielle et qui me fait vivre honorablement et en dehors de tout expédient équivoque.
Or, je vais, sous peu de jours, j’espère, reprendre une place dans l’administration des chemins de fer. L’existence errante d’un employé est un frein sérieux à l’acceptation de fonctions temporaires et gratuites.

Aussi, malgré mon dévouement à la chose publique et la reconnaissance profonde que j’éprouve, je me vois dans la nécessité de décliner l’honneur que vous me faites et de donner ma démission de conseiller général.

Au milieu de tant de dévouements, les hommes ne vous manqueront pas pour me remplacer ; vous vous rallierez tous, sans exception, autour de celui qui sera choisi et qui vous offrira toutes les garanties de pureté, de famille, d’ordre, de travail et de dévouement ; qualités qui peuvent seules assurer, aujourd’hui surtout, à l’ombre du drapeau républicain, la régénération de notre malheureuse France si cruellement éprouvée.
À vous tous avec ma profonde reconnaissance, l’assurance de mon dévouement le plus fraternel.
Ch. Cartoux. [1] » 

C’est le journal L’Égalité qui l’avait inscrit, en son absence, en tête de sa liste de candidats du Comité central républicain pour les élections des Conseils généraux et d’arrondissements ; le 8 octobre 1871 Charles Cartoux était élu à une écrasante majorité conseiller général du premier canton de Marseille (quartier Belsunce) avec 2681 voix, contre 797 pour son adversaire Émile Duclos [2]. Quatre autres candidats de l’Égalité, notamment Émile Bouchet, récemment acquitté par le conseil de guerre, furent également élus avec une forte majorité, mais de manière moins éclatante que Cartoux qui décida pourtant de ne pas siéger au Conseil général pour les raisons invoquées dans la lettre ci-dessus. 

Concernant son retour à Marseille, Cartoux l’avait annoncé par une lettre adressée au colonel Thomassin, président du Conseil de guerre à Marseille, auquel il avait aussi déjà fait parvenir un exemplaire de son mémoire. Lui faisant savoir qu’il ne craint plus à présent une prévention dont il redoutait auparavant les effets, il laisse peut-être entendre qu’il savait d’ores et déjà qu’il ne serait pas écroué. 

« M. Cartoux, conseiller général pour le premier canton de Marseille, a adressé au colonel Thomassin, président du Conseil de guerre la lettre suivante :

J’ai cru devoir éviter jusqu’à ce jour une prévention dont je redoutais les effets ; le mémoire que j’ai livré au public, et dont je vous ai envoyé un exemplaire, vous a fait connaître les motifs qui m’ont déterminé à me tenir à l’écart.
Bientôt mon tour va arriver de paraître devant le conseil de guerre que vous présidez.
L’honnêteté de ma conscience et le sentiment de ma dignité et de mon devoir font aujourd’hui cesser toute hésitation de ma part.
Je me dois à moi-même, comme je dois à mes concitoyens et à mes juges du conseil de guerre de répondre aux accusations qui, dans les jours de fiévreuse tourmente, ont pu être formulées contre moi et de faire cesser tous les doutes offensants qui ont pu un instant s’élever dans l’esprit de quelques uns sur la pureté de mes sentiments de justice, de dévouement désintéressé et de conservation républicaine, inséparables des principes d’ordre public qui sont la base même de ma foi politique.
Aussi je repousse toutes les sollicitations irréfléchies, quoique cordialement dévouées, qui cherchent à me retenir encore à l’étranger, et je suis résolu à me mettre entièrement à la disposition du conseil de guerre, dès que devra commencer l’instruction de mon affaire.
C’est avec l’assurance de l’engagement d’honneur que je prends envers le conseil de guerre, que j’ai l’honneur, Monsieur le Président, de vous présenter mes salutations les plus sincères.

Ch. Cartoux
Agent commercial des Chemins de fer du Midi. [3] »

Le 5 novembre 1871, la presse marseillaise signalait que Cartoux était de retour dans la ville depuis quelques jours ; s’étant présenté à la justice militaire, il avait été laissé en liberté provisoire et avait espoir qu’une ordonnance de non-lieu serait rendue en sa faveur [4]. Quelque jours plus tard la même presse annonçait qu’il avait bénéficié d’un non-lieu le 11 novembre 1871 [5].

Ainsi se clôturait, sans condamnation aucune, l’épisode de l’engagement de Charles Cartoux dans la Commune marseillaise de mars 1871. Sa démission des fonctions de conseiller général auxquelles il avait été brillamment élu, l’auréola d’une certaine modestie dont il fera encore preuve en politique quelques années plus tard.

Pour l’heure, après sa démission et son non-lieu, Cartoux retourna travailler à la Compagnie des chemins de fer du Midi et s’engagea parallèlement dans diverses sociétés, présidant notamment le cercle de l’Athénée méridional souvent mêlé aux luttes du parti républicain.

À la fin de l’année 1871, il était pressenti par l’Union républicaine marseillaise pour être candidat aux prochaines législatives partielles visant à pourvoir les sièges vacants depuis les élections de février, du fait des candidatures multiples ou de démissions. Il refusa, laissant en lice deux candidats qui seront élus en janvier 1872 : Bouchet, une personnalité locale, et Challemel-Lacour, nouveau venu à Marseille mais pas sur la scène politique nationale. Professeur de philosophie, ancien proscrit de 1851, Paul Challemel-Lacour avait été nommé préfet du Rhône en septembre 1870 au lendemain de la proclamation de la République mais son mandat préfectoral fut bref et mouvementé. Davantage apprécié à Marseille, il fut député avant de devenir sénateur des Bouches-du-Rhône en 1876 et de poursuivre ensuite une carrière politique au sommet de l’État.

Après plusieurs années au service des Chemins de fer du Midi, Cartoux fut, lui, nommé directeur de l’asile d’aliénés à Saint-Pierre au début des années 1880 [6], poste qu’il occupa durant une dizaine d’années jusqu’au moment de sa mort survenue à l’âge de 57 ans le 20 mai 1886 en son domicile au quartier Saint-Pierre. Il était célibataire ; sa mère âgée de 85 ans lui survécut.

La presse locale qui lui rendit hommage en saluant la disparition d’un des plus fermes défenseurs de la démocratie marseillaise évoque à peine sa période communarde, si ce n’est pour rappeler, dans Le Petit Provençal, que poursuivi lors du mouvement de 1871, une ordonnance de non-lieu lui rendit sa liberté [7]. Le Petit Marseillais s’appliqua, lui, à signaler les nombreuses personnalités politiques qui accompagnèrent ses funérailles civiles au cimetière Saint-Pierre : Allard le maire de Marseille en exercice et Brochier, ancien maire, étaient présents, de même que le Préfet, plusieurs conseillers municipaux et conseillers généraux, ainsi que le député du département, Clovis Hugues qui fit un discours attendu sur l’union du parti républicain. Manquait pourtant, nota le journaliste, le sénateur des Bouches-du-Rhône, Challemel-Lacour, retenu par des problèmes de santé. En revanche, cet article, pas plus que celui du Petit Provençal ou la nécrologie de Cartoux publiée dans La République du 22 mai 1886, ne font mention d’anciens communards à ses funérailles très républicaines, alors que l’amnistie totale des communards avait été prononcée depuis six ans !

[1Le Peuple souverain, 24 octobre 1871.

[2Le Sémaphore de Marseille, 9 octobre 1871.

[3Le Sémaphore de Marseille, 19 octobre 1871. Lettre publié à l’identique dans Le Petit Marseillais, 20 octobre 1871.

[4Le Sémaphore de Marseille, 5 novembre 1871

[5Le Petit Marseillais, 12 novembre 1871.

[6Il est évoqué à ce poste dans L’indicateur marseillais pour l’année 1880, p. 348.

[7Le Petit Provençal, 21 mai 1886.

Mise à jour :mercredi 30 avril 2025
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