Les Voix du peuple (1868). Impressions d’un condamné à mort (1871)
Édouard Jean-Baptiste
Il est soldat de 2e classe au 6e bataillon de chasseurs à pied en garnison à Marseille et prévenu de désertion à l’ennemi lorsqu’il comparait le 9 juin 1871 devant le 1er conseil de guerre permanent de la 9e région militaire de Marseille. Il est alors décrit ainsi : « taille 1 m 68, cheveux et sourcils noirs, front découvert, yeux gris, nez moyen, bouche petite, menton rond, visage ovale [3] ».
Le conseil de guerre qui va le condamner à mort est présidé par le lieutenant-colonel du 48e de ligne Thomassin. Il compte six autres militaires aux fonctions de juges : De Baillon, chef de bataillon au 95e régiment de ligne ; Lepranville, capitaine au 7e bataillon de chasseurs à pied ; Stoker, capitaine au 29e bataillon de chasseurs à pied ; Vialla, lieutenant au 95e de ligne ; Gustin, sous-lieutenant au 5e bataillon de chasseurs à pied ; Lesire, maréchal des logis au 4e régiment de chasseurs à cheval. Un huitième militaire, le capitaine Delcour, est substitut du procureur du gouvernement. Le greffier Peloux, officier d’administration, est le seul civil attaché à ce conseil de guerre. [4]
Édouard
Il a alors vingt-quatre heures pour se pourvoir en cassation, pourvoi qui sera rejeté le 17 juin 1871 par le conseil de révision de Lyon qui confirma sa condamnation à mort [7].
La commission des grâces de l’Assemblée nationale, qui ne sera créée qu’un mois plus tard par la loi du 17 juillet 1871, rejettera aussi son recours [8]. Son dossier de recours en grâce fournit davantage de détails sur les actes pour lesquels il avait été arrêté et condamné :
[Le 4 avril 1871, à Marseille], au moment où sa compagnie recevait l’ordre de charger à la baïonnette un groupe de révolutionnaires marseillais qui barraient la rue Monteau,
Le 16 septembre 1871 Édouard
Samedi [16 septembre 1871], à 7 heures précises, a eu lieu sur le champ de manœuvres du Pharo l’exécution du soldat de 2e classe
Après les Communes de 1871 dont celle de Paris fut la dernière écrasée le 28 mai 1871,
Le journal parisien Le Droit, informé par un correspondant marseillais, lui consacra un article plus long que celui du Sémaphore cité ci-dessus. Le Droit évoque en effet davantage les circonstances dans lesquelles
Exécution à mort du soldat
On nous écrit de Marseille, le 16 septembre 1871.
Ce matin, à sept heures, le soldat de première classe
Le 4 avril, au moment où l’armée était aux prises avec l’insurrection marseillaise, la compagnie dont
Par un mouvement de conversion des deux ailes du peloton, quelques prisonniers furent faits et désarmés, et au moment où l’on se reformait en colonne pour continuer la charge,
Traduit à raison de ces faits devant le 1er conseil de guerre, tous les témoins ont été unanimes pour établir sa coupable conduite, et le 9 juin, la peine de mort fut prononcée contre lui.
Par un sentiment d’humanité facile à comprendre, ce ne fut qu’à une heure avancée de la nuit que le condamné reçut l’avis que sa dernière heure était arrivée, et M. l’abbé Couissinier, aumônier de la prison militaire, avec le zèle apostolique qu’on lui connaît s’empressa de lui prodiguer les secours de la religion. [...]
Pendant ce temps, toutes les troupes de la garnison, infanterie, cavalerie et artillerie se rendaient sur le terrain du Pharo où, se plaçant sur deux lignes, elles formaient trois faces d’un immense carré. La quatrième face étant formée de la colline du Pharo, au pied de laquelle devait être conduit le condamné et où déjà attendait le peloton d’exécution composé de douze militaires, dont quatre soldats, quatre caporaux, quatre sous-officiers choisis parmi les plus anciens du 6e bataillon de chasseurs à pied. Ce peloton était sous les ordres d’un adjudant sous-officier. Le 6e bataillon de chasseurs, conformément aux règlements militaires, occupait la droite des troupes.
M. le greffier en chef et l’un des juges du conseil étaient présents sur le site de l’exécution.
À six heures et demie le piquet d’escorte arrivait à la prison militaire, et quelques instants avant l’heure fixée pour l’exécution, le triste cortège se mit en mouvement.
Arrivé à l’entrée du Pharo, le lugubre cortège s’arrêta, le condamné mit pied à terre, et aussitôt les tambours, les clairons et les trompettes des régiments battirent et sonnèrent au champ.
Les troupes, sous les ordres de M. le colonel de Puyssegur, du 3e régiment de chasseurs, se formèrent en colonne et vinrent successivement défiler devant le cadavre de
À sept heures un quart tout était terminé.
Une foule immense s’était portée pour assister à ce triste spectacle qu’avait rendu nécessaire l’inflexible justice militaire [11].
Le 16 septembre à 9 heures du matin, le décès de
Quatre jours après l’exécution du soldat
Marseille, le 20 septembre 1871
Monsieur le préfet
J’ai l’honneur de vous informer que ce matin à 7 heures, le sieur Guibal, brigadier des gardiens de la paix étant en tournée de service, a vu collé à la porte de l’église Saint-Martin, un placard manuscrit, dont voici le texte :
« Vengeance ou la Mort
Vil Espivent
Général des voleurs et des assassins
Samedi tu as fait assassiner un de nos frères pour crime de ne pas avoir voulu faire feu sur ses frères ; son sang demande vengeance, je te poursuivrais partout le fer le plomb ou le poison voilà ta récompense (E. P.)
On mange notre sueur et tu assassines nos enfants, à nous deux misérable. »
Le brigadier Guibal s’est empressé d’arracher ce placard que j’ai transmis à monsieur le procureur de la République.
Je dois ajouter que cette opération n’a soulevé aucune improbation de la part des lecteurs présents, qui ont au contraire témoigné leur satisfaction.
Je me livre à des investigations pour découvrir l’auteur de cette pièce.
Veuillez agréer monsieur le préfet l’assurance de mon respectueux et profond dévouement.
Le Commissaire central (signature illisible) [13].
Nous ne savons pas si l’auteur du placard vengeur a été découvert, mais nous savons que le « vil Espivent » a encore sévi plusieurs années à Marseille : l’état de siège n’y a été levé qu’en 1876 lorsqu’il partit pour prendre le commandement de la région militaire de Nantes où il fut élu et réélu sénateur de la Loire inférieure jusqu’en 1897 [14].
[1] AD (Archives départementales) de la Meuse, état civil en ligne, Cousance-aux-Forges, naissances 1840, n° 14.
[2] [AD des BdR 2 R 520, jugement n° 62 (Paquis). Il s’agit là uniquement du dossier de procédure du jugement (les dossiers de recours de grâce étant conservés aux Archives nationales à Paris).
[3] Ibid. AD des BdR 2 R 520, jugement n° 62.
[4] Ibid.
[5] Durant la Commune de Marseille de mars-avril 1871, l’avocat Périclès Grimanelli (1847-1924) avait mené des tentatives de conciliation entre les insurgés et les autorités militaires.
[6] AD des BdR 2 R 520, jugement n° 62.
[7] Ibid.
[8] Louis-Joseph Martel et Félix Voisin, Rapport sur les travaux de la commission des grâces, Paris, Imprimerie nationale, 1875, p. 18.
[9] Notice Paquis Édouard, sur le site du Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article67503 qui cite le dossier de recours en en grâce des Archives nationales BB 24/726. Voir aussi sa notice dans Roger Vignaud, La Commune de Marseille Dictionnaire, Aix-en-Provence, Édisud, 2005, p. 159.
[10] Le Sémaphore de Marseille, 17 septembre 1871.
[11] Le Droit, 18 septembre 1871.
[12] AD des BdR, état civil en ligne, Marseille, décès 1871, n° 361.
[13] AD des BdR 1 M 713.
[14] Notice « Espivent de la Villeboisnet, Henry », sur le site du Sénat, anciens sénateurs : https://www.senat.fr/senateur-3eme-republique/espivent_de_la_villeboisnet_henry1275r3.html