Marseille 1871 : une autre Commune
Marseille 1871 : une autre Commune
Le Monde illustré, 8 juillet 1871.
Carte postale ancienne

Deux soldats fusillés au Pharo pour avoir refusé de tirer sur les communards de Marseille

Édouard Paquis exécuté au Pharo le 16 septembre 1871

Les Voix du peuple (1868). Impressions d’un condamné à mort (1871)

Édouard Jean-Baptiste Paquis est né le 15 avril 1840 à Cousance-aux-Forges (Meuse), fils de Jacques Paquis, manœuvre, et de Marie Noël [1]. Après avoir été mouleur de sable [fabriquant de moules en sable pour couler des métaux] dans sa ville natale, il s’était engagé volontairement à l’armée en 1861 [2].

Il est soldat de 2e classe au 6e bataillon de chasseurs à pied en garnison à Marseille et prévenu de désertion à l’ennemi lorsqu’il comparait le 9 juin 1871 devant le 1er conseil de guerre permanent de la 9e région militaire de Marseille. Il est alors décrit ainsi : « taille 1 m 68, cheveux et sourcils noirs, front découvert, yeux gris, nez moyen, bouche petite, menton rond, visage ovale [3] ».

Le conseil de guerre qui va le condamner à mort est présidé par le lieutenant-colonel du 48e de ligne Thomassin. Il compte six autres militaires aux fonctions de juges : De Baillon, chef de bataillon au 95e régiment de ligne ; Lepranville, capitaine au 7e bataillon de chasseurs à pied ; Stoker, capitaine au 29e bataillon de chasseurs à pied ; Vialla, lieutenant au 95e de ligne ; Gustin, sous-lieutenant au 5e bataillon de chasseurs à pied ; Lesire, maréchal des logis au 4e régiment de chasseurs à cheval. Un huitième militaire, le capitaine Delcour, est substitut du procureur du gouvernement. Le greffier Peloux, officier d’administration, est le seul civil attaché à ce conseil de guerre. [4]

Édouard Paquis est introduit devant le conseil de guerre « libre et sans fer », avec son défenseur maître Grimanelli [5], avocat à Marseille. Le dossier de procédure conservé à Marseille ne donne aucun détail sur la plaidoirie de son avocat ou sur les déclarations de l’accusé, mais précise que c’est dans la même journée du 9 juin 1871, que ce conseil de guerre jugea Paquis coupable de désertion en présence de l’ennemi et le condamna à l’unanimité à la peine de mort [6].

Il a alors vingt-quatre heures pour se pourvoir en cassation, pourvoi qui sera rejeté le 17 juin 1871 par le conseil de révision de Lyon qui confirma sa condamnation à mort [7].

La commission des grâces de l’Assemblée nationale, qui ne sera créée qu’un mois plus tard par la loi du 17 juillet 1871, rejettera aussi son recours [8]. Son dossier de recours en grâce fournit davantage de détails sur les actes pour lesquels il avait été arrêté et condamné :

[Le 4 avril 1871, à Marseille], au moment où sa compagnie recevait l’ordre de charger à la baïonnette un groupe de révolutionnaires marseillais qui barraient la rue Monteau, Paquis leva la crosse en l’air et gagna les rangs des insurgés où il fut accueilli aux cris de Vive la République. Il fut arrêté le lendemain. Il prétendit pour sa défense avoir agi sous l’influence de l’ivresse et être resté étranger à toute attaque contre l’armée et l’instruction n’a pu, en effet, établir la participation active de cet homme à l’insurrection. Il fut cependant condamné, le 9 juin 1871, par le conseil de guerre de Marseille, à la peine de mort et à la dégradation militaire. Le général commandant la 9e région militaire insista pour que, dans l’intérêt de la discipline, et en présence du mauvais esprit que la population de Marseille a manifesté aux dernières élections, le jugement reçoive son exécution. En dépit de l’avis de Thiers, favorable à une commutation, la sentence fut exécutée [9]. »

La première exécution judiciaire après les Communes

Le 16 septembre 1871 Édouard Paquis était exécuté au Pharo par douze balles qui lui trouèrent la poitrine et lui fracassèrent le crâne alors qu’il était agenouillé et les yeux bandés, comme le relata Le Sémaphore de Marseille :

Samedi [16 septembre 1871], à 7 heures précises, a eu lieu sur le champ de manœuvres du Pharo l’exécution du soldat de 2e classe Paquis, du 6e bataillon des chasseurs à pied, condamné à mort par le conseil de guerre de Marseille pour avoir levé la crosse en l’air et être passé à l’ennemi le 4 avril. Paquis s’était comme on le sait pourvu en révision. Mais le jugement du premier conseil de guerre ayant été confirmé, le malheureux n’espérait plus qu’une commutation. Cette espérance devait être déçue. Samedi à 4 heures du matin, le gardien Kinguer réveilla le condamné qui dormait profondément. Conduit au poste des gardiens, il entendit lecture du rejet de son pourvoi en grâce. Il se troubla un instant, mais reprit bien vite son assurance. Paquis entra ensuite dans la chapelle du fort où il communia, après s’être confessé à l’aumônier. Quelques rares curieux, et non une foule immense comme l’on dit certains journaux, étaient aux alentours du Pharo où devait avoir lieu l’exécution. La garnison de la ville ne tarda pas à se rendre sur le champ de manœuvres où elle forma trois faces d’un immense carré. Paquis sortit du fort [Saint-Nicolas] à six heures et demi, après avoir remis à l’agent principal quelques menus objets avec prière de les transmettre à sa famille. Il arriva jusqu’au milieu du Pharo dans une voiture fermée, accompagné de l’aumônier, de quelques gendarmes et de M. Peloux, greffier en chef du conseil de guerre. Le peloton d’exécution était rangé au fond du Pharo. Le condamné mit pied à terre et s’avança, soutenu par l’aumônier, jusqu’à la butte désignée pour l’exécution. Son confesseur lui plaça alors un mouchoir sur les yeux. Paquis ensuite s’agenouilla, et quelques minutes après, c’est-à-dire à sept heures précises, douze balles lui trouaient la poitrine et lui fracassaient le crâne. Le malheureux tomba la face contre terre, sur le côté gauche. À sept heures et quart, le cadavre était enlevé par les employés des pompes funèbres [10]

Après les Communes de 1871 dont celle de Paris fut la dernière écrasée le 28 mai 1871, Paquis fut le premier condamné à mort par un conseil de guerre à être fusillé à Marseille, mais également en France.

Le journal parisien Le Droit, informé par un correspondant marseillais, lui consacra un article plus long que celui du Sémaphore cité ci-dessus. Le Droit évoque en effet davantage les circonstances dans lesquelles Paquis leva la crosse en l’air en signe de paix et décrit aussi plus en détail le champ de manœuvres du Pharo ainsi que le cérémonial militaire macabre de cette exécution tragique :

Exécution à mort du soldat Paquis 

On nous écrit de Marseille, le 16 septembre 1871.

Ce matin, à sept heures, le soldat de première classe Paquis, du 6e bataillon de chasseurs à pied, condamné à la peine de mort par le 1er conseil de guerre, séant à Marseille, a été exécuté sur le champ de manœuvres du Pharo. [...]

Le 4 avril, au moment où l’armée était aux prises avec l’insurrection marseillaise, la compagnie dont Paquis faisait partie se trouvait au coin de la rue Monteau (actuelle rue Edmnd Rostand, près de la préfecture), ayant en face d’elle les rebelles armés. À un moment donné, ces derniers étaient si près de la troupe que l’officier qui la commandait dut ordonner une charge à la baïonnette.

Par un mouvement de conversion des deux ailes du peloton, quelques prisonniers furent faits et désarmés, et au moment où l’on se reformait en colonne pour continuer la charge, Paquis s’élança des rangs de ses camarades au milieu des insurgés, en levant la crosse en l’air en signe de paix. Les insurgés l’accueillirent avec des transports de joie, ils l’acclamèrent aux cris de : « Vive la République ! Voilà un frère ! Vive les chasseurs ! » Et on l’emmena à la préfecture où on l’hébergea. Le soir, après la prise de la préfecture, il fut arrêté par un officier de marine.

Traduit à raison de ces faits devant le 1er conseil de guerre, tous les témoins ont été unanimes pour établir sa coupable conduite, et le 9 juin, la peine de mort fut prononcée contre lui.

Paquis se pourvut devant le conseil de révision, qui confirma le jugement du 1er conseil de guerre ; et depuis cette époque, le condamné attendait dans une des cellules du fort Saint-Nicolas le résultat du rapport adressé au gouvernement par l’autorité militaire. Le long espace de temps qui s’était écoulé depuis sa condamnation lui laissait quelque espoir d’une commutation, et, dernièrement, il en manifestait l’expression à ses surveillants. Cette espérance devait être déçue. Hier matin, l’autorité militaire était informée que conformément à un avis de M. le Garde des Sceaux, la justice devait suivre son cours, et des ordres furent donnés en conséquence pour l’exécution immédiate.

Par un sentiment d’humanité facile à comprendre, ce ne fut qu’à une heure avancée de la nuit que le condamné reçut l’avis que sa dernière heure était arrivée, et M. l’abbé Couissinier, aumônier de la prison militaire, avec le zèle apostolique qu’on lui connaît s’empressa de lui prodiguer les secours de la religion. [...]

Pendant ce temps, toutes les troupes de la garnison, infanterie, cavalerie et artillerie se rendaient sur le terrain du Pharo où, se plaçant sur deux lignes, elles formaient trois faces d’un immense carré. La quatrième face étant formée de la colline du Pharo, au pied de laquelle devait être conduit le condamné et où déjà attendait le peloton d’exécution composé de douze militaires, dont quatre soldats, quatre caporaux, quatre sous-officiers choisis parmi les plus anciens du 6e bataillon de chasseurs à pied. Ce peloton était sous les ordres d’un adjudant sous-officier. Le 6e bataillon de chasseurs, conformément aux règlements militaires, occupait la droite des troupes.

M. le greffier en chef et l’un des juges du conseil étaient présents sur le site de l’exécution.

À six heures et demie le piquet d’escorte arrivait à la prison militaire, et quelques instants avant l’heure fixée pour l’exécution, le triste cortège se mit en mouvement. Paquis, accompagné de son vénérable confesseur et de la gendarmerie, avait pris place dans une une voiture fermée. L’escorte s’était formée sur deux rangs et au milieu desquels la voiture s’avançait lentement.

Arrivé à l’entrée du Pharo, le lugubre cortège s’arrêta, le condamné mit pied à terre, et aussitôt les tambours, les clairons et les trompettes des régiments battirent et sonnèrent au champ.

Paquis, soutenu par l’aumônier Couissinier, traversa le carré des troupes et alla s’agenouiller au pied de la butte désignée à cet effet. On lui banda les yeux et il attendit la mort dans cette position. À un signal donné par l’adjudant, le peloton d’exécution fit feu, et le malheureux tomba. Il avait cessé de vivre.

Les troupes, sous les ordres de M. le colonel de Puyssegur, du 3e régiment de chasseurs, se formèrent en colonne et vinrent successivement défiler devant le cadavre de Paquis.

À sept heures un quart tout était terminé.

Une foule immense s’était portée pour assister à ce triste spectacle qu’avait rendu nécessaire l’inflexible justice militaire [11]

Le 16 septembre à 9 heures du matin, le décès de Paquis était enregistré à l’état civil de Marseille sur la déclaration de deux sergents de son bataillon qui déclarèrent son décès survenu deux heures auparavant, à 7 heures du matin au quartier du Pharo, sans autre précision sur les circonstances de sa mort [12].

Un pamphlet vengeur

Quatre jours après l’exécution du soldat Paquis, le commissaire de police de Marseille signalait au préfet des BdR la découverte d’un placard manuscrit vengeur dénonçant le « vil Espivent ». Après l’avoir transcrit, le commissaire ajouta notamment que les lecteurs présents ne l’ont pas désapprouvé mais qu’ils ont au contraire témoigné leur satisfaction.

Marseille, le 20 septembre 1871

Monsieur le préfet

J’ai l’honneur de vous informer que ce matin à 7 heures, le sieur Guibal, brigadier des gardiens de la paix étant en tournée de service, a vu collé à la porte de l’église Saint-Martin, un placard manuscrit, dont voici le texte :

« Vengeance ou la Mort

Vil Espivent

Général des voleurs et des assassins

Samedi tu as fait assassiner un de nos frères pour crime de ne pas avoir voulu faire feu sur ses frères ; son sang demande vengeance, je te poursuivrais partout le fer le plomb ou le poison voilà ta récompense (E. P.)

On mange notre sueur et tu assassines nos enfants, à nous deux misérable. »

Le brigadier Guibal s’est empressé d’arracher ce placard que j’ai transmis à monsieur le procureur de la République.

Je dois ajouter que cette opération n’a soulevé aucune improbation de la part des lecteurs présents, qui ont au contraire témoigné leur satisfaction.

Je me livre à des investigations pour découvrir l’auteur de cette pièce.

Veuillez agréer monsieur le préfet l’assurance de mon respectueux et profond dévouement.

Le Commissaire central (signature illisible) [13].

Nous ne savons pas si l’auteur du placard vengeur a été découvert, mais nous savons que le « vil Espivent » a encore sévi plusieurs années à Marseille : l’état de siège n’y a été levé qu’en 1876 lorsqu’il partit pour prendre le commandement de la région militaire de Nantes où il fut élu et réélu sénateur de la Loire inférieure jusqu’en 1897 [14].

[1AD (Archives départementales) de la Meuse, état civil en ligne, Cousance-aux-Forges, naissances 1840, n° 14.

[2[AD des BdR 2 R 520, jugement n° 62 (Paquis). Il s’agit là uniquement du dossier de procédure du jugement (les dossiers de recours de grâce étant conservés aux Archives nationales à Paris).

[3Ibid. AD des BdR 2 R 520, jugement n° 62.

[4Ibid.

[5Durant la Commune de Marseille de mars-avril 1871, l’avocat Périclès Grimanelli (1847-1924) avait mené des tentatives de conciliation entre les insurgés et les autorités militaires.

[6AD des BdR 2 R 520, jugement n° 62.

[7Ibid.

[8Louis-Joseph Martel et Félix Voisin, Rapport sur les travaux de la commission des grâces, Paris, Imprimerie nationale, 1875, p. 18.

[9Notice Paquis Édouard, sur le site du Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article67503 qui cite le dossier de recours en en grâce des Archives nationales BB 24/726. Voir aussi sa notice dans Roger Vignaud, La Commune de Marseille Dictionnaire, Aix-en-Provence, Édisud, 2005, p. 159.

[10Le Sémaphore de Marseille, 17 septembre 1871.

[11Le Droit, 18 septembre 1871.

[12AD des BdR, état civil en ligne, Marseille, décès 1871, n° 361.

[13AD des BdR 1 M 713.

[14Notice « Espivent de la Villeboisnet, Henry », sur le site du Sénat, anciens sénateurs : https://www.senat.fr/senateur-3eme-republique/espivent_de_la_villeboisnet_henry1275r3.html

Mise à jour :mercredi 30 avril 2025
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