Gaston Crémieux
Les Voix du peuple (1868). Impressions d’un condamné à mort (1871)
En ce 150e anniversaire des Communes de 1871 de Paris, de Marseille et d’autres villes, on commémorera aussi la disparition du dirigeant de la Commune de Marseille, Gaston Crémieux fusillé à l’âge de 35 ans le 30 novembre 1871 sur le champ de manœuvres militaire du Pharo.
Républicain ardent et humaniste, persuadé que la République sera sociale et européenne, Gaston Crémieux avait de multiples talents : avocat de profession, il était aussi un conférencier véhément et un écrivain prolixe, poète, dramaturge et journaliste. Révolutionnaire et patriote, légaliste mais parfois exalté, il mit, les dernières années de sa vie, tous ses talents au service du peuple et de l’instruction des deux sexes, rêvant et luttant aux côtés des ouvriers et des démocrates marseillais pour plus de justice, de liberté et de dignité sociales et politiques.
Une partie de ses écrits furent réunis huit ans après sa disparition dans ses Œuvres posthumes [1], recueil qui rassemble à la fois des poèmes publiés de son vivant, tel que Les voix du peuple présenté ici, paru pour la première fois en 1868 dans le journal Le Peuple, ainsi que des textes inédits écrits en prison. Le deuxième texte présenté, Impressions d’un condamné à mort, est un récit sous forme de journal qu’il écrivit en prison à partir du 28 juin 1871, jour où il apprit que le conseil de guerre l’avait condamné à la peine de mort, et qu’il clôtura quelques jours avant son exécution.
Au-delà de leurs différences de style et des situations dans lesquels ils furent écrits, ces deux textes s’avèrent, a posteriori, intimement liés ; le premier contenant les aspirations généreuses que Gaston Crémieux paiera trois ans plus tard de sa vie en tombant foudroyé par douze balles dans la poitrine.
Victime et héros de la Commune de Marseille, Gaston Crémieux a plusieurs lieux de mémoire à Marseille : le monument funéraire élevé sur son caveau, augmenté d’une plaque commémorative, un boulevard à son nom, également augmenté d’une plaque, et une troisième plaque commémorative au Château-d’If, une des prisons où il fut incarcéré. Il reste cependant encore peu connu.
L’ouvrage publié par l’avocat Roger Vignaud il y a maintenant dix-huit ans, Gaston Crémieux. La Commune de Marseille, un rêve inachevé…[spip.php?definition2&recherche=...[Roger Vignaud, Gaston Crémieux, la Commune de Marseille un rêve inachevé…, Aix-en-Provence, Édisud, 2003. 286 pages.]] est le seul à avoir été consacré à l’ensemble de l’itinéraire de Gaston Crémieux, depuis sa naissance en 1836 à Nîmes (Gard), dans une famille juive modeste et nombreuse, ses écrits de jeunesse, son installation à Marseille en 1862 et tous les engagements et les luttes qu’il y mena. Après cette vaste fresque qui éclaire aussi le contexte historique, aussi mouvementé au plan national que local, des années 1870 et 1871 et des ultimes engagements de Gaston Crémieux, Vignaud publia aussi un dictionnaire biographique et thématique fort utile sur la Commune de Marseille [2]. En 2011, il réunit ces deux ouvrages en un seul, La Commune révolutionnaire de 1871 à Marseille [3]. Sous ce titre qui ne fait plus référence à Gaston Crémieux, Vignaud a réduit et remanié son premier ouvrage en prenant « le parti de ne plus parler de l’enfance de Crémieux et de son parcours personnel dans sa ville d’origine, Nîmes, mais de privilégier l’histoire de la Commune de 1871 à Marseille en apportant de nombreux ajouts et commentaires sur cette période insurrectionnelle. [4] »
Pour ma part, j’espère pouvoir présenter avant la fin de l’année 2021, dont on ne sait si elle verra la fin de cette cette terrible pandémie, un recueil plus large d’écrits de Gaston Crémieux qui rassemblera la soixantaine d’articles qu’il signa dans l’Égalité, depuis le premier numéro de ce journal fondé à Marseille le 1er mai 1870, jusqu’au 20 mars 1871. Ces articles furent ses derniers écrits publiés de son vivant, si l’on excepte les proclamations qu’il signa seul ou avec d’autres membres de la Commission départementale provisoire des Bouches du Rhône jusqu’au 4 avril 1871. Par leur nombre et par leur volume, ses articles dans l’Égalité constituent non seulement la part plus importante de son œuvre journalistique mais aussi son testament politique ; écrits au plus près de la Commune de Marseille, ils sont d’autant plus essentiels que Gaston Crémieux n’a laissé aucun ouvrage dans lequel il aurait davantage développé ses positions idéologiques et politiques avant son ultime engagement dans la Commune qu’il paya de sa vie.
Lorsqu’il mit fin à sa collaboration à l’Égalité le 20 mars 1871, les Marseillais n’avaient encore que de vagues échos sur la Commune de Paris qui avait débuté le 18 mars. Dès qu’ils en furent mieux informés, Gaston Crémieux, dans un discours prononcé dans la soirée du 22 mars dans la salle de l’Eldorado à la Plaine, appela à la solidarité avec Paris et contre le gouvernement qui s’était réfugié à Versailles. Le lendemain, après des manifestations houleuses, il était nommé Président de la Commission départementale provisoire des Bouches-du-Rhône qui se substitua à l’autorité préfectorale durant les douze jours de la Commune révolutionnaire de Marseille, du 23 mars au 4 avril 1871. Au terme d’une journée de combats sanglants et de bombardements démesurés, le général Espivent de la Villeboisnet, commandant l’état de siège à Marseille, et les marins de deux bâtiments d’état eurent finalement raison des insurgés ; dans la nuit du 4 au 5 avril la Commune de Marseille était écrasée.
Arrêté dans la nuit du 7 au 8 avril, Gaston Crémieux fut incarcéré dans différentes prisons marseillaises et jugé deux mois plus tard. Du 12 au 28 juin 1871, il fut jugé devant le Conseil de guerre de la 9e division militaire siégeant à Marseille avec seize autres protagonistes de la Commune de Marseille qui, comme lui, n’avaient pas quitté la France pour échapper aux poursuites judiciaires. Le 28 juin 1871, Gaston Crémieux et deux autres de ses co-accusés, Auguste Étienne (père) et Alphonse Pélissier, étaient condamnés à la peine de mort ; seul Gaston Crémieux sera exécuté tandis que ses compagnons de peine furent graciés.
Gaston Crémieux fut le troisième et le dernier communard fusillé à Marseille après jugement. Avant lui, deux soldats qui avaient rejoint les insurgés avaient été fusillés au Pharo après avoir été eux aussi condamnés à la peine de mort par le même conseil de guerre : Édouard Paquis, soldat au 6e bataillon des chasseurs à pied, fusillé le 16 septembre 1871 à l’âge de 32 ans, et Joseph Estragnat, soldat 2e classe au 6e régiment d’infanterie, fusillé le 30 octobre 1871 à l’âge de 22 ans.
Michèle Bitton, septembre 2021