Marseille 1871 : une autre Commune
Marseille 1871 : une autre Commune
Le Monde illustré, 8 juillet 1871.
Carte postale ancienne

Émile Bouchet (1840-1915)

Intro

Les Voix du peuple (1868). Impressions d’un condamné à mort (1871)

L’avocat Émile Bouchet, ancien substitut du procureur de la République et participant aux débuts de la Commune de Marseille en mars 1871, écrit la même année au Conseil de discipline des avocats de Marseille pour demander sa réintégration au barreau de la ville. Dans sa lettre, reproduite ici d’après l’exemplaire conservé à la bibliothèque de l’Alcazar à Marseille [1], il se défend du rôle de meneur qui a pu lui être attribué dans les récents événements de Marseille, insistant au contraire sur celui de conciliateur et de modérateur qu’il a tenu dans ce « mouvement mal défini » dont il s’est désolidarisé avant son terme.

Au-delà de l’objet de sa demande de réintégration au barreau de Marseille, qui sera d’ailleurs rejetée, sa lettre est un document important à verser à l’histoire de la Commune de Marseille. C’est en effet un des trois témoignages parvenus jusqu’à nous, avec ceux de Charles Cartoux [2] et de Bernard Landeck [3], écrit par un de ses acteurs, et non des moindres.

Émile Bouchet, Brutus Paul Émile Bouchet à l’état-civil, était né à Embrun en 1840 ; installé à Marseille dans les années 1860 il y devint rapidement une figure notoire de la démocratie et de la franc-maçonnerie locales. Nommé substitut du procureur de la République le 8 septembre 1870, au lendemain de la proclamation de la République. Six mois plus tard, indigné par les « tendresses » de Thiers pour d’anciens serviteurs de l’Empire, il adressait sa démission au ministère de la Justice le 22 mars 1871. Le lendemain, il était délégué par le Club républicain de la garde nationale pour faire partie de la Commission provisoire des Bouches-du-Rhône de douze membres installée sous la présidence de Gaston Crémieux dans la Préfecture occupée. C’est cette commission départementale qui sera la forme particulière de la Commune de Marseille qui durera du 23 mars au 4 avril 1871.

La lettre de Bouchet à ses anciens collègues avocats ne s’inscrit pas dans une procédure judiciaire ; seule sa réintégration au barreau local est en jeu, un objectif professionnel certes important mais moindre au regard de ce que Bouchet risquera lorsqu’il sera déféré en justice en juin 1871 pour sa participation à la Commune de Marseille.

Dans cette lettre, Bouchet relate d’abord pourquoi il a démissionné de ses fonctions de substitut le 23 mars au matin, avant d’en venir aux faits auxquels il assista, ou qu’il initia, du 23 au 27 mars au sein de la commission départementale. Il termine cette lettre en citant des documents datés du 30 mars 1871 contenant des protestations exprimées publiquement contre l’usage indu de son nom sur des proclamations de cette commission dont il était déjà retiré. Tous les faits relatés dans sa lettre sont antérieurs à l’écrasement de la Commune de Marseille le 4 avril 1871 et aux centaines d’arrestations qui suivirent cette journée de combat à laquelle il ne participa pas.

Bouchet lui-même ne fut pas arrêté ; il se présenta spontanément aux autorités militaires avant d’être déféré le 12 juin 1871 avec seize autres prévenus devant le conseil de guerre siégeant à Marseille, pour le plus important procès collectif conduit contre des protagonistes de la Commune marseillaise. Au terme de ce procès, Bouchet fut un des six prévenus acquittés. Pour le Conseil de l’ordre des avocats de Marseille cet acquittement ne fut pas un argument suffisant pour l’accepter à nouveau parmi eux ; le 26 avril 1872, il rejetait sa demande de réintégration au barreau local.

Entre temps, Bouchet avait été élu au Conseil général des Bouches-du-Rhône en octobre 1871, puis député du même département en février 1872, mandat auquel il sera réélu en 1876 et 1881. Au cours de ses deux premiers mandats, il soutient régulièrement les propositions et les lois d’amnistie des communards. En 1884, un procès financier qui le conduit en prison met fin à son troisième mandat. Libéré, il s’installe en 1885 au Tonkin où il participe à l’expansion coloniale française.

La notice biographique d’Émile Bouchet, présentée ici en deux parties, de 1840 à 1871 et de 1872 à 1885, avant et après sa lettre de demande de réintégration au barreau de Marseille, laisse de côté le parcours, mal connu, qui fut le sien au Tonkin de 1885 jusqu’à son retour en France où il mourut au Vésinet en 1915.

Michèle Bitton

Marseille, février 2025

[1Émile Bouchet, à MM. les membres du Conseil de discipline des avocats de Marseille, Marseille, Imprimerie T. Samat, [1871]. Bibliothèque de l’Alcazar à Marseille, fonds patrimoniaux, n°1409.

[2Charles Cartoux, Au public marseillais, au Conseil de guerre siégeant à Marseille, Barcelone, Typographie de Narcisse Ramirez et Cie, [1871].

[3Bernard Landeck, Un calomnié de la Commune. À Monsieur Clovis Hugues, député des Bouches-du-Rhône, Paris, 1884, chez l’auteur.

Mise à jour :mercredi 30 avril 2025
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