Marseille 1871 : une autre Commune
Marseille 1871 : une autre Commune
Le Monde illustré, 8 juillet 1871.
Carte postale ancienne

Gaston Crémieux - Textes choisis

Introduction aux Voix du peuple

Les Voix du peuple (1868). Impressions d’un condamné à mort (1871)

« Les Voix du peuple » est d’abord paru dans le journal marseillais Le Peuple le 6 mai 1868 avant que Gaston Crémieux ne l’intègre la même année avec deux autres de ses poèmes dans le recueil Les Marseillaises. Némésis [1]. Dans ce recueil, il fut reproduit pratiquement à l’identique ; il n’y manque qu’un vers : « Le pauvre, mal instruit, s’y serait résigné », le quatrième de la douzième strophe de la version parue dans Le Peuple dont les trois autres vers furent, eux, maintenus.
Lorsque « Les Voix du peuple » fut inclus en 1879 dans les Œuvres posthumes de Gaston Crémieux, ce vers y était également absent, mais il y manquait aussi cinq strophes de quatre vers chacune, soit au total vingt et un vers de moins que la première version parue dans le Peuple. C’est cette première version, la plus longue, qui sera reproduite ici, en y signalant les vers omis dans les versions ultérieures.
Comme la plupart des journaux de son époque, Le Peuple ne comportait que quatre pages très denses et le bas de la première page était souvent dévolu à un feuilleton ou à un poème. « Les Voix du peuple » débute effectivement au bas de la première page de ce journal, mais c’est un long poème et ses 134 alexandrins rimés se poursuivent au bas des deux pages suivantes.
C’est une œuvre poétique classique, typique par son style et son fond des dernières années du Second Empire, une période généreuse, emphatique et solennelle chez les écrivains républicains qui furent nombreux à célébrer le Peuple. C’est aussi un des poèmes les plus aboutis de Gaston Crémieux, autant par sa forme que par son contenu en exprimant ses espérances les plus profondes de Fraternité et de Liberté et sa conviction intime dans la valeur émancipatrice de l’instruction du peuple.
« Les Voix du peuple » et les autres poèmes que Gaston Crémieux publia à Marseille en 1868 sont postérieurs de douze ans à sa première poésie connue, « Mes étrennes à L. », incluse également dans ses Œuvres posthumes où elle est datée de janvier 1856. Entre temps il avait publié deux petites plaquettes de poésie à Nîmes en 1857 et 1859 : Mon cadeau de noces : à ma cousine Léonie Vidal, à mon cousin Esdras Crémieux, à mon oncle Hippolyte Vidal, et À l’Italie. Cent vers [2].
Ultérieurement c’est à Marseille qu’il fit imprimer en 1869 le monologue en vers Robespierre. Le 21 janvier 1793 dédié à Léon Gambetta et Alphonse Esquiros [3], les deux députés républicains élus la même année à Marseille dont il avait activement soutenu les candidatures.
Cofondateur du journal l’Égalité dont le premier numéro parut le 1er mai 1870 à Marseille, il y collabora régulièrement dès sa création avec un article appelant résolument à voter « Non » au plébiscite du 8 mai imposé par l’empereur Napoléon III. Parmi ses nombreuses contributions ultérieures à ce journal figure aussi un poème, en décembre 1870. Intitulé « Le Bandit » (pour désigner Napoléon III), ce nouveau poème est également dédié au citoyen Esquiros auquel Crémieux apporta aussi tout son soutien durant la courte période où Alphonse Esquiros fut administrateur supérieur des Bouches-du-Rhône après la proclamation de la IIIe République le 4 septembre 1870, du 7 septembre jusqu’à sa démission deux mois plus tard.
Les vers empreints de colère de Gaston Crémieux dans « Le Bandit » évoquent la plupart des événements qui frappèrent la France et les républicains tout au long de ce « Sombre soixante-dix ! Épouvantable année ! » depuis l’assassinat du journaliste Victor Noir le 9 janvier par Pierre Bonaparte qui sera acquitté, jusqu’à l’ultime défaite de Sedan du 2 septembre, il n’oublie pas non plus le plébiscite tronqué du mois de mai avant lequel un soi-disant complot permit à Pietri, le préfet de Paris, de faire la chasse au « spectre rouge », à savoir les membres de l’Association internationale des travailleurs dont la traque se poursuivit aussi à Marseille.
Si je n’avais retenu ici le poème « Les Voix du Peuple » pour sa générosité, c’est « Le Bandit » que j’aurai choisi pour sa indignation.

Gaston Crémieux écrivit aussi des poèmes en prison, le chapitre Rimes de prison de ses Œuvres posthumes en contiendra quatre [4]. Le plus ancien, « Le Fort Saint-Nicolas » y est daté du 16 août 1870 ; il remonte à sa première incarcération consécutive à l’occupation de l’Hôtel de Ville de Marseille le 8 août précédent, incarcération qui dura jusqu’à la proclamation de la IIIe République le 4 septembre 1870 qui fut suivie par la libération immédiate de tous les prisonniers politiques avec lesquels il avait occupé l’Hôtel de Ville. Les trois autres poèmes inclus dans ses Rimes de prison datent de sa deuxième incarcération, après la Commune : « À ma Noémi » (son épouse) étant daté du 19 juillet 1871, « À Clovis Hugues » (son ami poète incarcéré quelques temps avec lui) du 17 octobre 1871 » et « À Théodore de Banville (un poète qu’il admirait) du 19 octobre 1871.
Mais ses Œuvres posthumes contiennent surtout une longue tragédie en vers « Le Neuf Thermidor ou la Mort de Robespierre » qu’il n’eut pas le temps d’achever en 1871 en prison et qui fut complétée par son ami Clovis Hugues ; avec ses 178 pages cette œuvre rimée occupe la majeure partie des 276 pages des Œuvres posthumes de Gaston Crémieux [5].

L’ensemble des œuvres poétiques de Gaston Crémieux connues forment ainsi un ensemble non négligeable que l’on peut estimer égal en volume à l’ensemble de ses publications journalistiques en prose, souvent animées elles aussi d’un souffle lyrique. Alors que son premier poème connu, « Mes étrennes à L » date de 1856, lorsqu’il avait vingt ans, les « Voix du peuple » de 1868 est une œuvre de maturité. Il était alors âgé de trente-deux ans, avocat et franc-maçon confirmé depuis plus de dix ans et avait aussi déjà mis ses compétences au service d’associations ouvrières marseillaises en rédigeant pour elles un mémoire présenté au préfet en 1867 [6].

Il parle peut-être de lui au début des « Voix du peuple », lorsqu’il écrit : « Enfant du peuple, issu d’une obscure famille » mais les voix qu’il veut faire entendre dans tout le reste de son poème sont celles du peuple devenu « souverain » par son nombre depuis le suffrage universel masculin de 1848. Le mot « peuple » apparaît au moins neuf fois dans ce poème, sans compter ses équivalents, plébéien ou prolétaire, généralement employés pour dénoncer le tort qui leur est fait mais également pour rappeler leurs luttes révolutionnaires passées et les appeler à la rébellion.
Gaston Crémieux lui-même était trop jeune lors des révolutions de la première moitié du XIXe siècle. Venu au monde six ans après l’instauration de la Monarchie de Juillet qui suivit la révolution de 1830 dont il évoque discrètement les Trois glorieuses (les journées révolutionnaires des 27, 28 et 29 juillet 1830 à Paris) en écrivant dans « Les Voix du peuple » : « Nous aurions recueilli pendant les trois journées / du pain pour nos enfants et des balles pour nous. »
Il n’était encore qu’un enfant lors de la Révolution de 1848 et un adolescent lors du coup d’état de 1851 de Louis Napoléon Bonaparte qui instaura le Second Empire sous lequel Gaston Crémieux vécut la majeure partie de sa courte vie et forgea ses convictions républicaines. Ces soulèvements durement réprimés furent les références de sa pensée politique dont la matrice resta la Révolution de 1789 et plus particulièrement Robespierre, victime de son inflexibilité révolutionnaire.

En 2011, lorsque l’historien Jean-Louis Robert, président de l’association des Amies et Amis de la Commune de Paris 1871, résuma la forte communauté de valeurs qui en 1871 unissait les Communards de Paris et ceux de Marseille autour de l’idée de République, il cita un vers de Gaston Crémieux : « Peuple lève-toi, la liberté rayonne au bout des barricades » [7], vers qui figurait justement dans la première publication des « Voix du peuple » dans le journal Le Peuple, mais disparut avec les cinq strophes supprimées de la publication ultérieure de ce poème dans les Œuvres posthumes de Gaston Crémieux.

[1Gaston Crémieux, Les Marseillaises. Némésis  : La Cavalcade, Gandins et cocottes, Les Voix du peuple : Extrait du journal Le Peuple, Marseille, Imprimerie commerciale F. Canquoin, 1868.

[2Gaston Crémieux, Mon cadeau de noces : à ma cousine Léonie Vidal, à mon cousin Esdras Crémieux, à mon oncle Hippolyte Vidal, Nîmes, éditeurs Baldy et Roger, 1857, 8 pages. À l’Italie. Cent vers ; Nîmes, Librairie Manlus Salles, 1859, 8 pages.

[3Gaston Crémieux, Robespierre. Le 21 janvier 1793  : Monologue en vers dédié à Alphonse Esquiros et Léon Gambetta, Marseille, imprimerie commerciale J. Doucet, 1869. 16 pages.

[4Rimes de prison, in Œuvres posthumes de Gaston Crémieux, op. cit., pp. 47-50.

[5Le Neuf Thermidor ou la Mort de Robespierre, in Œuvres
posthumes
de Gaston Crémieux, op. cit., pp. 53-231.

[6Mémoire des ouvriers de Marseille présenté au Préfet des Bouches-du-Rhône, M. Levert  ; Marseille, imprimerie Serres, 1867. 20 pages.

[7Jean-Louis Robert, « Ces communards de Paris et de Marseille », propos recueillis par Léo Purguette, in La Marseillaise, 2 décembre 2011. Cet article parut après le colloque « Gaston Crémieux et la Commune de Marseille » tenu à Marseille le 30 novembre 2011 dans lequel Jean-Louis Robert fut un des intervenants.

Mise à jour :mercredi 30 avril 2025
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