Les Voix du peuple (1868). Impressions d’un condamné à mort (1871)
Le cimetière israélite La Timone-Saint-Pierre en fonction depuis 1855 est aujourd’hui sur-occupé mais toujours en activité. On peut y accéder à partir du grand cimetière Saint-Pierre, ou par une entrée particulière située 166, Chemin de l’Armée d’Afrique.
Dans une dédale de tombes serrées les unes contre les autres, le monument funéraire de Gaston
Ces inscriptions invitent au silence ; celui qui sied aux cimetières, mais probablement imposé aussi à ceux qui ont élevé ce monument et fait graver cette épitaphe qui ne précise pas pourquoi et comment est mort Gaston
Le monument lui-même n’est pas daté, mais il est représenté sur une gravure parue le 6 décembre 1872 à la une du Travailleur des villes et des campagnes, un hebdomadaire publié à La Ciotat à trentaine de kilomètres de Marseille.
La publication de cette gravure sous le titre « Monument élevé à la mémoire de Gaston Crémieux par les républicains marseillais » déplut apparemment aux autorités qui, depuis l’écrasement de la Commune de Marseille le 4 avril 1871 par le général Espivent de la Villeboisnet, avaient interdit toute publication relative à la Commune ou aux Communards, si ce n’est pour les flétrir. Celle-ci valut effectivement de nouvelles poursuites [1] au gérant du Travailleur des villes et des campagnes, Maurice Faucon : le 3 avril 1873, il était condamné par le tribunal correctionnel de Marseille à 100 francs d’amende pour la publication de ce dessin sans autorisation préalable. [2]
Dans l’exemplaire du Travailleur des villes et des campagnes (en assez mauvais état) conservé à la bibliothèque de l’Alcazar à Marseille, on peut encore distinguer sur ce dessin signé L. Mosnier, le nom « Crémieux » gravé sur une colonne pyramidale identique à celle toujours posée sur son caveau. Le dessinateur y a ajouté une grande figure allégorique de Marianne républicaine au bonnet phrygien au-dessus du monument funéraire. Cette République pacifique, tenant un rameau d’olivier dans sa main gauche, tient aussi de sa main droite une couronne qu’elle s’apprête à poser au sommet du monument à la gloire de Crémieux.
Pour l’« Anniversaire du 30 novembre », la première page de ce numéro du Travailleur des villes et des campagnes a fait suivre ce dessin du poème « Mort de Gaston Crémieux » signé par Édouard Chevret, un long poème qui se poursuit sur les deux pages suivantes du journal. En voici quelques vers, qui le désignent de « communard hébreu », sans une once d’antisémitisme :
Sait-on s’il mourra bien, ce communard hébreu ?
Il est tout jeune encore comme nous tendres biches !
Nous avons vu son nom sur de rouges affiches ;
Il a trente-quatre ans et il s’appelle Gaston ! [3]
Le monument funéraire érigé en 1872 sur le caveau de G. Crémieux existe toujours, mais il a reçu quelques ajouts qui l’ont un peu transformé. La colonne pyramidale initialeest aujourd’hui dressée sur un socle devant lequel sont posés deux nouveaux éléments : une sculpture en pierre et une plaque commémorative ajoutées à plus d’un siècle d’intervalle.
Lors de sa pose, le 1er décembre 1878, cette sculpture en pierre a été décrite comme « une magnifique offrande faite au nom de la démocratie marseillaise : une lyre au milieu, une feuille de papier avec une inscription et l’hermine de l’avocat déployant ses plis. [4]
Au delà de la forme de cette sculpture, l’année de sa pose est significative. Ce n’est en effet qu’en 1878, sept ans après la disparition de Crémieux que put se dérouler la première cérémonie importante à sa mémoire. Alors que jusque là les autorités n’avaient toléré qu’un hommage discret annuel autour de son caveau, cet celui de 1878 put être beaucoup plus important.
L’état de siège sur Marseille avait été levé depuis près de deux ans, après le départ de Marseille du général Espivent en 1876, et les dernières élections législatives avaient installé une majorité républicaine à l’Assemblée nationale.
À Marseille, le dimanche 1er décembre 1878 plusieurs centaines de personnes s’étaient donné rendez-vous à la Plaine pour se diriger en cortège vers le caveau de Crémieux. Les autorités tentèrent d’interdire ce cortège en déployant des forces de police autour et dans le cimetière. Tout discours y fut interdit et seules les personnes portant des couronnes furent autorisées à entrer dans le cimetière. Les délégations porteuses de l’emblème funéraire en pierre et de couronnes d’immortelles entrèrent les premières tandis qu’un grand nombre de personnes achetèrent de petites couronnes afin de pouvoir entrer : « Le monument où repose Gaston Crémieux était couvert des couronnes […]. Il se distinguait des autres tombes par sa verdure et par sa pyramide élevée. » [5]
La plaque en marbre blanc posée sous cette sculpture a été inaugurée le 30 juin 2002 à l’initiative de l’ACJP, l’Association Culturelle des Juifs du Pape [6] qui honorait un des leurs ; Gaston Crémieux, rappelons-le, étant un descendant de l’ancienne communauté communément désignée comme les « juifs du pape ».
Les inscriptions figurant sur cette plaque sont plus explicites que l’épitaphe « silencieuse » gravée sur la colonne du monument ; alors que celle-ci indiquait seulement que Gaston Crémieux était « mort », la plaque précise, entre autres, qu’il est « mort fusillé », sans pour autant dire par qui il a été fusillé !
Gaston Crémieux. Ardent républicain ami de Gambetta. Chef du mouvement communard des Bouches-du-Rhône. Mort fusillé le 30 novembre 1871 pour que vive la République.
Jouxtant le caveau de Gaston Crémieux, celui de son fils aîné Albert est également dotée d’un monument funéraire moins haut que celui de son père et surmonté par une une boule.
Les inscriptions gravées sur la stèle verticale posée sur ce caveau ne sont plus lisibles, mais celles gravées sur le caveau lui-même sont encore déchiffrables :
Ici repose Albert Crémieux. Officier de la Légion d’Honneur. 21 août 1865 - 11 mai 1940
Albert (Joseph Lange) Crémieux était le fils aîné de Gaston Isaac Crémieux et de son épouse Noémie Judith Molina. Né le 21 août 1865 à Pont-Saint-Esprit (Gard), il est décédé le 11 mai 1940 à Paris 8e précise son dossier dans l’ordre de la Légion d’honneur. Dossier qui indique aussi qu’il avait d’abord été nommé Chevalier dans cet ordre par décret du 31 août 1923, alors qu’il était avocat à la Cour d’appel de Paris, puis élevé au grade d’Officier de la Légion d’honneur par décret du 9 août 1939. [7]
[1] En décembre 1872, Le Travailleur des villes et des campagnes ne se vendait que par abonnement ayant été interdit de vente sur la voie publique depuis un arrêté du général Espivent du 23 novembre 1872.
[2] Journal des commissaires de police : recueil mensuel de législation, de jurisprudence et de doctrine, Paris, 1873, p. 267.
[3] Le Travailleur des villes et des campagnes, 6 décembre 1872.
[4] La Jeune République, 2 décembre 1878. »
[5] Le Petit Marseillais, 2 décembre 1878.
[6] Robert Milhaud, « Nous avons participé à une plaque pour Gaston
[7] Dossier LH//625/49 base de données Leonore des récipiendaires de la Légion d’honneur : https://www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr -