Marseille 1871 : une autre Commune
Marseille 1871 : une autre Commune
Le Monde illustré, 8 juillet 1871.
Carte postale ancienne

Marseille se souvient du communard Gaston Crémieux fusillé le 30 novembre 1871 au Pharo

Un boulevard à son nom

Les Voix du peuple (1868). Impressions d’un condamné à mort (1871)

La dénomination du boulevard Gaston Crémieux dans le 8e arrondissement, entre le boulevard Périer et la place du Maréchal Lannes, a eu cent ans en 2022 ; un peu moins si on lui retire les trois années du régime de Vichy durant lesquelles il fut débaptisé.
C’est sous la mandature de Siméon Flaissières [1]qui fut maire de Marseille de 1888 à 1902 puis de 1919 à sa mort en 1931, lors des délibérations du conseil municipal du 6 septembre 1922, que fut adoptée la proposition de rebaptiser Gaston Crémieux l’ancien boulevard Gambetta fut au motif que Marseille ayant déjà les Allées Gambetta [2]
Cette dénomination fut une des sept propositions de changements de noms de rues ou appellations nouvelles adoptées le 6 septembre 1922. Elles concernaient toutes des personnalités masculines nées au XIXe siècle, dont deux artistes provençaux, un peintre pour la place Paul Cézanne (1839-1906) et un écrivain pour la rue Émile Zola (1840-1903). Outre Gaston Crémieux (1836-1871), les quatre autres dénominations étaient celle de personnalités politiques républicaines éminentes. Pour un autre boulevard, Charles Livon (1850-1917), médecin et maire provisoire de Marseille en 1895 : pour une rue Francis de Pressenssé (1850-1921) député, ex-président de la Ligue des droits de l’homme ; pour une place (très vaste) Jules Guesde (1846-1922), orateur et ministre socialiste et pour une autre place, Félix Baret (1843-1902) avocat avec lequel travailla G. Crémieux et ancien maire de Marseille de 1887 à 1891.
Chacun de ces hommes fit l’objet de courtes notices biographiques annexées aux délibérations du 6 septembre 1922 ; celle qui nous intéresse plus particulièrement rappelait son tragique destin de communard : « Gaston Crémieux est né à Nîmes en 1836. Avocat à Marseille. Il fut président de la commission révolutionnaire de cette ville pendant l’insurrection de la Commune du 23 mars au 4 avril 1871. Fait prisonnier au cours des événements de cette journée par les troupes du général Espivent, il fut condamné à mort par le conseil de guerre et fusillé le 30 novembre 1871. [3] »

Moins de vingt ans après sa dénomination, le boulevard Gaston Crémieux était rebaptisé Sidi-Brahim (du nom d’une bataille menée par les Français en Algérie en 1845 [4]) lors des délibérations du 13 janvier 1941 de la délégation spéciale à la mairie de Marseille présidée par Henri Ripert. Cette décision s’inscrivait dans une démarche de remplacement d’une quinzaine de noms de rues adoptés au cours des dernières années. Au motif que « certaines dénominations [étaient] devenues inopportunes », il fut proposé de revenir à leur ancien nom ou d’adopter de nouveaux noms pour d’autres [5]. Parmi les autres voies concernées citons la place Jean Jaurès qui reprit son ancien nom : après avoir reçu en 1919 celui du leader socialiste opposé à la guerre et assassiné le 31 juillet 1914, elle redevint la place Saint-Michel durant trois ans.
En même temps que l’on remplaçait des noms de rues jugés inopportuns, les autorités d’occupation avec l’aide du gouvernement de Vichy s’employaient à la mise en place de l’extermination physique des « indésirables » dès 1942. Un des petits-fils de Gaston Crémieux, prénommé aussi Gaston et avocat comme lui et comme son père, Albert Joseph Lange Crémieux, en fut victime : Gaston, Moïse Crémieux, né le 13 avril 1891 à Paris 5e, est mort en déportation à Auschwitz-Birkenau le 15 août 1942. [6]

Le boulevard Gaston Crémieux reprit son nom après la Libération de Marseille, lorsque la délégation municipale présidée par Gaston Defferre réunie le 31 octobre 1944 adopta le principe de modifier les noms de rues qui avaient été attribués entre 1940 et 1944. [7] Il a gardé son nom depuis et une grande plaque commémorative y a été apposée au début des années 2000.

Plaque commémorative sur le Boulevard Gaston-Crémieux

Les panneaux de voirie qui désignent actuellement le boulevard Gaston Crémieux ne portent que son nom, sans autre précision, mais une plaque commémorative scellée sous l’un de ces panneaux, à proximité du croisement des boulevards Gaston Crémieux et Périer, lui rend plus longuement hommage.

Ces inscriptions gravées en lettres d’or désignent faussement Gaston Crémieux comme « Héros de la Commune de Paris ». Ce faisant, elles véhiculent une erreur dommageable pour l’histoire de Marseille et pour celle de Crémieux. S’il a effectivement soutenu la Commune de Paris, Crémieux n’y a pas participé et c’est bien de la Commune de Marseille qu’il a été le héros, et la victime.
Nos demandes auprès la mairie de secteur du 8e arrondissement et de la mairie centrale de Marseille pour connaître la date exacte de l’inauguration de cette plaque n’ont pas abouti.
Elle date probablement de 2013 car l’année suivante elle était revendiquée comme une initiative récente du comité marseillais de l’Association des Amies et Amis de la Commune de Paris 1871 et du groupe local de la Libre Pensée : « à la mémoire de Gaston Crémieux, leader de la Commune de Marseille, que Thiers fit fusiller, nous avons fait apposer une plaque explicative sur le boulevard qui porte son nom. » [8]
Les francs-maçons de la loge La Réunion des Amis choisis de Marseille (loge à laquelle Gaston Crémieux avait appartenu) ont également fait part de leur participation à l’apposition de cette plaque, sans préciser la date de son inauguration. Dans une brochure parue en 2016 pour le 215e anniversaire de la loge La Réunion des Amis choisis de Marseille, l’article intitulé « Hommage à Gaston Crémieux. Pose d’une plaque commémorative boulevard Gaston-Crémieux » est accompagné de photographies de personnes qui ont assisté à son inauguration. [9]

 Sur le boulevard Gaston Crémieux on trouve aussi aujourd’hui la station d’autobus Gaston Crémieux (sur la ligne 74 de la régie des transports métropolitains - RTM) et un restaurant casher « Le Gaston Crémieux ».

[1Siméon Flaissières (1851-1931). Lorsqu’il fut élu pour un deuxième mandat en 1892, il fut le premier maire socialiste de Marseille mais resta toujours un socialiste indépendant. Fils d’un pasteur calviniste, il se détacha suffisamment de la religion pour demander d’être enterré civilement dans la fosse commune. Docteur en médecine, il avait exercé à Endoume où il était surnommé « le médecin des pauvres » ; Gaston Crémieux avait lui-même été appelé « l’avocat des pauvres » !

[2AM Marseille 1 D 216, registre des délibérations du Conseil municipal pour l’année 1922, p. 79.

[3AM Marseille 2 D 1906 : documents annexes au conseil municipal du 6 septembre 1922, délibération n° 917.

[4Notons aussi que la dénomination Sidi-Brahim a retrouvé droit de cité à Marseille en 1963 lorsque son nom fut donné à un square.

[5AM Marseille 1 D 239, registre des délibérations du Conseil municipal, pour l’année 1941, p. 89.

[6Arrêté collectif du 18 novembre 1987 relatif à l’apposition de la mention « Mort en déportation » sur les actes et jugement déclaratifs de décès paru au Journal officiel de la République française du 29 janvier 1988, p.1442.

[7AM Marseille 1 D 242, délibérations du Conseil municipal pour les mois d’août-décembre 1944, p. 32.

[8Michel Kadouch et Gilbert Bertolini, « Vingt ans d’activité des Amis de la Commune à Marseille » article du 1er mars 2013 posté sur le site l’Association des Amies et Amis de la Commune de Paris 1871 (consulté en mai 2019) : http://www.commune1871.org/

[9Grand Orient de France, Célébration des 215 ans de la loge La Réunion des amis choisis (créée le 18 juillet 1801), Marseille, 2016, p. 54.

Mise à jour :mercredi 30 avril 2025
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